Histoire des îles de Kerkennah, archipel de Tunisie
Suivez les traces de l’histoire de la méditerranée

André LOUIS Les grandes lignes de l’histoire Kerkennienne
Pour apprécier les couleurs particulières de l’histoire de la Méditerranée et de son influence sur l’archipel, entamez votre circuit dès la première heure du lever du soleil et remontez l’histoire de Kerkennah.
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Découvrez le site archéologique de Borj El Hissar : il y a 3000 ans Kerkennah était un comptoir commercial (époque phénicienne de -1200 à – 600 ans avant J.-C.)
Commencez d’abord par rencontrer les traces de la civilisation phénicienne, grande civilisation marine venue du Proche Orient et qui fonda la légendaire Carthage. Elle fit de Kerkennah, la plus grande agglomération la bien nommée “Kyrakyn“, fondée sur la côte Nord-Est. Les Phéniciens lui consacrent alors un port de commerce, dans le développement de leur réseau de colonies et de comptoirs commerciaux. La trace la plus intimidante et émouvante de cette époque phénicienne et de celles qui suivront, se trouve à surface d’eau, au pied du Borj El Hissar où des fouilles archéologiques ont permis de stopper la disparition sauvage des vestiges. Si vous le souhaitez, prenez masque et tuba pour visiter la cité aquatique, dans le silence des eaux kerkenniennes, témoin de l’histoire de Phénicie.
Petite confidence : Impossible de s’arrêter sur ce site de plus de 3000 ans sans éprouver une forte émotion de l’empreinte de nos ancêtres qui sont allés et venus au cœur de la méditerranée.
Six grandes périodes de l’histoire de l’Europe, de l’Afrique et de la Méditerranée ont ensuite suivi l’époque phénicienne (1200 – 600 ans avant J.-C.) et ont marqué Kerkennah à jamais :
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La période carthaginoise (500 – 200 ans avant J.-C.) : sépultures, puits, citernes et monuments puniques toujours en activité 2200 ans après leur installation
Un témoignage de la vie punique à Kerkennah est la découverte d’un hypogée (crypte) sur l’île de Mellita en 1991 par l’Institut National d’Archéologie et d’Art. Un autre hypogée a été également signalé sur l’ile de Chergui, vers le Borj el Hassar, mais malheureusement, pillé.
La tombe à puits de Mellita quant à elle plutôt bien conservée, aurait plus de 2300 ans (datation entre la fin du IVe et la première moitié du IIe s. av. J.-C.). 5 sujets sont inhumés dans la chambre funéraire et plusieurs accessoires ont été identifiés : vases à vernis noir, lampes, unguentaria (fioles de parfum ou d’huile fréquentes en Italie à l’ère punique) et une aiguille en bronze. La céramique proviendrait d’Italie méridionale, de Sicile et de la Campanie, via Carthage. Au delà de cet hypogée, la question reste posée de l’existence d’un ensemble funéraire plus vaste, restant alors à découvrir.
Les traces puniques sur l’archipel se retrouvent également dans les sebkhas et sur les îlots de Gremdi, Erramadia, Errakadia, Sefnou et Echarmadia bien avant l’invasion romaine. Sur certains sites ont été relevés par prospection, des morceaux de céramique datés du Ve siècle av. J.-C. De même, certaines structures monumentales comme les ruines d’un mur de cinq cents mètres de long (aujourd’hui) dans la Sebkha de Khlij à Bounouma ou les ruines de Lazded (Henchir Zribi) entre Khcharem et Kraten portent les traces d’une présence punique forte de ces compétences de bâtisseur sur l’archipel.
Histoire abrégée des carthaginois
Enfin, ces marins de Carthage en charge de puiser l’eau douce ont aussi développé de nombreux puits et des citernes encore très présentes aujourd’hui sur l’archipel. Pour accéder aux terres et aux sources d’eau douce, les carthaginois ont du braver les hauts fonds qui protègent Kerkennah des invasions maritimes. Ainsi, au Nord où les eaux sont profondes, se trouve le site d’El Hissar, Bounouma, Kraten. À l’Est qui, bien que marqué par les hauts fonds bénéficie d’un Oued (Oued-Mimoun : Zraïeb Ouarda, Oued Saâdoun-Bhiret El Abassia) et au Sud, à Sidi Hadj Ali Ettaouil (Ouled Bou Ali), on retrouve les puits encore en activité et historiquement connus des pêcheurs d’éponges de Zarzis et de Djerba qui venaient en été y faire le plein d’eau douce. Autres puits en activité, celui de Zorhi au centre de l’île Chergui et 5 autres au confluent des pistes menant à Ouled Kacem et Ouled Bou Ali, mais aussi à El Aïoun, Chergui, Aïoun Zouaghi, Hamadet Jouabeur, sans oublier les nombreux puits des îlots de Sefnou, d’Erramadia et de Gremdi, et Bir Errass à Bounouma connu des marins venus du Sahel. On retrouve aussi de nombreuses citernes, véritable innovation technique punique, dont la citerne d’El Ksar à Chergui où les habitants viennent s’approvisionner en eau douce.
Et au delà des sépultures découvertes et des installations techniques propices au ravitaillement punique, rappelons-nous aussi du passage tactique en 195 av. J.-C., de Hannibal l’exilé, venu faire escale à Kerkennah avant de rejoindre l’Orient.
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La période romaine (200 avant J.-C. – 500 ans après J.-C.) : refuge, grenier céréalier et escale
Soit île refuge du général romain Caius Julius Caesar, commandant de l’armée d’Afrique avant son retour victorieux à Rome, ou de Caius Sempronius Grachus déporté sur l’archipel pour inconduite avec la fille de l’empereur Auguste, soit grenier de céréales pour les armées romaines d’Afrique, Kerkennah a représenté une escale tactique, économique et politique durant l’empire romain.
C’est au IVe siècle que les romains ont fondé la ville de Cercina, allant d’après les ruines encore présentes du nord au sud de l’île Chergui (de Borj à Sidi Hadj Ali Ettaouil). Cette ville importante abritait un port apprécié des navires de marchandises et propice à l’amarrage des navires de guerre.
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La période musulmane (622 après J.-C.) : convoitée de toutes parts
Kerkennah a d’abord été occupée par les Berbères, ce peuple originel de l’Afrique du Nord (avant même l’influence phénicienne). Après l’empire romain, l’archipel a ensuite été convoité par l’empire arabe, sous administration des Aghlabides, des fatimides et des Zirides face auxquels d’ailleurs les berbères kerkenniens ont résisté plus de 60 ans après que Djerba ait dû capituler face à Tamim Ibn El Moez, 6e émir Ziride, qui finalement n’occupa Kerkena qu’en 1098.
L’empire arabe englobant les 4000 km de côtes méditerranéennes, nécessitait des forteresses (Ribats) et une flotte de vaisseaux de mer pour protéger les côtes, recourant alors aux excellents navigateurs que sont les kerkenniens, notamment pour participer à des excursions remarquables comme celles du début du VIIIe siècle vers la Sardaigne et la Sicile. Parmi les plus influentes expéditions dans l’histoire de la conquête arabe, citons celle de 827 vers la Sicile sous le commandement de Assad Ibn Al-Fourat, et en 969, celle conduite par Jawhar Assikili pour fonder le Caire. Mais c’est surtout à partir du XIe siècle que kerkennah apparait dans les sources écrites, notamment grâce à Abou Obeïd El Bekri dans son livre “Al Mamalik Oual Massalik” (1068) qui décrit la fertilité de l’archipel, propice à l’agriculture et à l’élevage, confirmant aussi la présence des citernes antiques et au Nord-Est de l’île de Chergui l’existence de haut-fond connu des navigateurs venant d’Orient et repérable par une haute maison antique (El Beit) dressée. S’il n’en reste plus rien aujourd’hui, le marabout de Sidi Bou Hajra, situé à Dhar El Beit conserve l’esprit du repère visuel du haut fond pour les marins.
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La période sicilienne et espagnole (1212 après J.-C.) : terre de négociation entre Espagnols et Italiens
Alors que la conquête des mers devient un enjeu politique majeur; Kerkennah sera convoitée tant par la Sicile non loin que par l’Espagne, amenant les kerkenniens à lutter, résister et capituler face au nombre de l’envahisseur. Les Normands de Sicile, d’abord avec Roger II de Sicile (1153) verront alors les kerkenniens s’insurger contre l’invasion sicilienne. El Idrissi vivant alors à la cour de Roger II de Sicile dira de kerkennah qu’elle “est une île jolie et bien peuplée bien qu’il ne s’y trouve aucune ville. Les habitants demeurent dans des cabanes en roseaux, l’île est bien fortifiée ; elle est fertile et produit beaucoup de raisins, de cumin et d’anis.” Puis durant vingt années ce fut au tour de du Catalan Roger de Loria (1285) d’agir au nom de Pierre d’Aragon, pour occuper les îles Kerkenah avant de la céder avec Djerba à la Sicile à nouveau dans le jeu des négociations politiques et religieuses.
C’est ainsi qu’en 1315 les kerkenniens après leur révolte contre les chétiens se voient occupés par les Hafsides jusqu’au règne de Ahmed Ben Mekki qui en se séparant des Hafsides de Tunis (1356), règne alors sur un territoire allant de Sfax à Misurata (Lybie), Kerkena et Djerba comprises. Toujours convoitée par la Sicile et l’Espagne, notamment pour ses réserves d’eau douce, les îles seront reprises d’abord par la flotte d’Alphonse V d’Aragon (1423) dit Alfonso el Magnánimo (Le magnanime) désireux de poursuivre la politique méditerranéenne de son père puis par Jean de La Vega vice-roi de Sicile qui tentera une requonquête du Golfe de Gabès.
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La période ottomane (1451 – 1923 après J.-C.) : Forteresse contre l’envahisseur d’Italie ou d’Espagne
En 1650, Jean de la Vega se heurtera à la flotte turque dont l’hégémonie en Méditerranée s’étend. Aidée par la population locale de Kerkennah, la présence sicilienne sera repoussée même si les convoitises italienne et espagnole se poursuivront encore jusu’au XVIIe siècle. Sous la présence turque et notamment avec le Sultan Harthama Ben Hayon, plusieurs villages seront construits sur la côte Sud afin de surveiller les tentatives d’invasions venues d’Italie (Sicile et Venise) ou de Grèce. C’est à ce moment là que sera érigé Borj El Hissar parmi de nombreux forts turcs allant du Caucase et de l’Asie occidentale à l’Afrique du Nord jusqu’à Kerkennah et Djerba.
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La période contemporaine : vers l’indépendance
Après une période politique relativement calme sur le pourtour méditerranée, Kerkennah pris ses marques en tant qu’archipel paisible sous domination turque, puis passa avec la Tunisie sous protectorat français au XIXe siècle (Traité du Bardo, 12 mai 1881) avant l’indépendance tunisienne en 1956.

André LOUIS carte géographique histoire Kerkennienne Kerkena