Coupée du Monde : Kerkennah double-face
La vie insulaire est marquée naturellement par une distance au continent. Distance qui présente deux facettes… L’une d’elles est celle qui fait le charme de Kerkennah. Son éloignement des excès de la vie continentale préserve l’authenticité et la simplicité de la vie sur l’archipel. Pas de grands supermarchés, “exit” la surconsommation ! “Le juste ce qu’il faut” pourrait être le slogan de l’archipel ! Voila pour sa première facette, la plus belle, précieuse, magique, celle que toutes et tous apprécient à cœur. Facette de Kerkennah que d’aucun ne voudrait voir disparaitre. Et puis il y a l’autre facette, celle qui fâche, celle qui inquiète, celle qui nous amène à nous poser de vraies questions …
Le côté obscur de Kerkennah, une pression sociale qui fait loi
N’avez-vous jamais eu l’occasion de vous balader en bord de mer et de rencontrer par hasard quelques jeunes, trois ou quatre, pas plus, venus passer ensemble un bon moment, comme tous les jeunes peuvent le faire ? A Kerkennah, vous les rencontrerez peut-être… derrière un massif d’alfa, ces hautes herbes précieuses de Kerkennah, à l’ombre discrète d’un palmier, en tout cas loin des regards… Pourquoi cette discrétion direz-vous ? Eh bien, si vous allez à leur rencontre, et je peux vous dire qu’ils sont ravis de discuter, ils vous diront toute la joie de partager un kanoun de fruits de mer (petit barbecue mobile) et quelques verres de bière au bord de l’eau. Quel est le problème ? Aucun…. Si ce n’est la difficulté, que dis-je, l’impossibilité de se procurer de l’alcool sur l’archipel et cela depuis 3 ans, lorsque la seule boutique à offrir de l’alcool historiquement s’est vue contrainte de fermer, par la violence de quelques uns, et de quel droit doit-on se demander !
N’a-t-on jamais appris de l’histoire de la prohibition ?
Cette situation locale est issue d’une pression sociale non représentative d’ailleurs des insulaires et elle n’a rien à voir avec une décision légale… Conséquence logique de cette situation locale ? Les jeunes et les moins jeunes aussi d’ailleurs, sont mis, malgré eux, en situation de clandestinité. Approvisionnement discret sur le continent ou marché noir de l’alcool… Pour quelques instants de partage entre amis. Instants de vie auxquels chacun et chacune a le droit, comme le dit à sa façon le bien connu Jean de La Bruyère (1645-1696) “Les enfants n’ont ni passé ni avenir, et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent“. N’est-ce pas cela la jeunesse, ce goût de l’instant présent où l’insouciance, la joie et l’espérance ouvrent sur toutes les possibilités ? Et il ne s’agit pas bien sûr d’une question d’âge.
En interdisant l’accès à l’alcool on oblige à l’excès durant ces instants volés… On obtient ainsi l’inverse du motif avancé de cette prohibition de fait : l’excès sur l’instant jusqu’au prochain. Pour une jeunesse en quête de vivre tout simplement ses belles années, filles et garçons, adultes aussi se voient contraints de n’en vivre qu’une partie (et de rattraper l’autre à coup d’abus) ! De plus, le paradoxe de la prohibition explose à la vue, écorche le regard lorsque vous vous promenez à Kerkennah car, sur les routes, les sebkhas, les côtes et même en mer, ce sont des milliers de canettes de bières qui s’échouent ou flottent au gré du vent.
Il ne s’agit pas de pousser à la consommation (ce type de commentaire facile serait malhonnête !). Bien au contraire, il s’agit ici de dénoncer le processus de la prohibition (ici d’origine sociale et non d’origine règlementaire) qui conduit en toute logique à l’excès de consommation prohibée. Or si le juste milieu est un principe de base dans tout acte, commençons par ne pas forcer notre jeunesse (mais aussi les moins jeunes), à des excès en cachette que l’on retrouve ensuite comme un voile hypocrite, sur les terres et les eaux de kerkennah.
rasa
J’ai passé presque 3 semaines à kerkennah chez des amis et c’est dommage que les jeunes et moins jeunes se cachent pour une bière car du coup ils en boivent 4x plus en cachette
Mehdi Kachouri
Rasa, c’est effectivement ce qu’on a constaté et qui nous a conduit à rédiger cet article.
Farhat Othman
Il faut le dire et le rappeler : c’est l’ivresse qui est interdite en islam et non l’alcool. Alors, il nous faut arrêter de défigurer l’islam. J’ai pas mal écrit à ce sujet, en arabe et en français. En voici une illustration : Il est temps d’oser déclarer l’alcool licite en islam !
Mehdi Kachouri
Merci Farhat Othman, pour ce complément utile et éclairant il est vrai qu’on fait dire beaucoup de choses aux textes sacrés, mais pas toujours fidèlement à l’esprit du texte. Mon père, très attaché à l’esprit du texte sacré, dit souvent : “il faut user de tout et n’abuser de rien.”
Mounir Zalila
A mon avis ces pressions pour interdire la vente publique de l’alcool.ont une visée cachée. Sous prétexte du haram on crée la pénurie en fermant le seul point de vente et l’on ouvre un boulevard au marché noir
Mehdi Kachouri
Mounir, tu as probablement raison, pour aller dans ton sens voici une information intéressante que je porte à ta connaissance, la boite de bière de 24cl coûte 1,390 DT (Juillet 2018) donc le pack de 24 bières en magasin sont à 33,360 DT. Or sur Kerkennah (Marché noir) tu les trouves en moyenne à 40 voire 50 DT les 24 bières d’où la question à qui profite le crime ! Comme l’article “L’alcool à Kerkennah : entre tabou et partage” l’analyse, c’est le basique des mécanismes de marché en cas de prohibition.
Amal
l’alcool à kerkennah est tellement propagé. il n’est plus un tabou c’est un pur partage !
Mehdi Kachouri
Amal, il s’agit peut-être d’un mode de vie sur l’archipel ? J’ai connu à une époque où toutes les familles fabriquaient le fameux “Rassir” (jus de raisin) de Kerkennah… et depuis tout petit, j’ai vu les bouteilles de legmi (jus de palmier) circuler en toute liberté… et convivialité.