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Quand la migration est une source d’espoir et de désillusion…

L’immigration clandestine  (“Harka” حرقة) est un phénomène plutôt contemporain. Les migrants vulnérables sont au cœur du dilemme entre espoir et désillusion tragique. Mais la migration a toujours été un mouvement sociologique de l’être humain. L’espoir d’une terre meilleure ou l’envie de découverte sont deux sources heureuses de migration. Mais il en est aussi qui relèvent de la désillusion. Rendre compte des beautés de l’archipel de Kerkennah ce n’est pas seulement parler de son histoire, de ses îlots sauvages comme celui de Grimdi, de la charfiya ou du circuit touristique pour vivre Kerkennah à fond. C’est aussi parler de ce qui est moins drôle. De ces migrants qui passent par notre archipel dans l’espoir de vivre une vie meilleure… Alors pour leur rendre hommage dans leur voyage malheureusement tragique pour la plupart, nous partageons avec vous cette histoire sous forme de conte. Ce pourrait être l’histoire d’un.e ami.e que vous connaissez ou de n’importe qui.

Nous rêvons tous d’un avenir brillant : les migrants vulnérables n’ont plus rien à perdre

Nous rêvons tous d’un avenir brillant, et des fois, nous rêvons juste d’un avenir meilleur et pour certains, seulement d’un avenir.
Je n’ai pas mon bac parce que l’école c’est pas pour moi. Moi, ce qui m’intéresse c’est d’être initié à la vraie vie, à ce qui se passe dans la rue. J’ai beaucoup d’amis et pas de perspective de travail.

Un jour, mon ami Jafar disparaît

Un jour, mon ami Jafar disparaît. Tout le monde se demande où il est. On apprend quelque temps plus tard qu’il est en Italie. Je l’imagine à la terrasse des bistrots avec une jolie italienne. En costard cravate pour se rendre au travail, gagner des euros et pouvoir envoyer une partie de son salaire à sa mère malade. Moi, entre temps, je grappille de la monnaie par-ci par-la pour pouvoir m’acheter mes cigarettes de la journée et mon capucin au café du coin.

Un jour mon pote Nizar vient me voir

Un jour mon pote Nizar vient me voir. Il me dit qu’il a un plan pour se barrer de ce pays et partir en Europe. “Ça va coûter 4 milles dinars” qu’il me dit en me lançant “tu viens ?”.
Pendant des mois, je harcèle mon frère pour qu’il me prête de l’argent. Il a une une femme et deux enfants. Lui et sa femme travaillent tous les deux. Ils ne sont pas aisés, mais ne manquent de rien. Après 5 mois à lui demander tous les jours, il cède enfin. Il sait que mes parents se font du souci pour mon avenir et décide de me payer la traversée.

Et je pars…

Et je décide de partir. On me donne le nom d’un passeur de Kerkennah, l’horaire du jour de départ moyennant les 4000 dinars. Très tôt le matin, avec presque rien, je pars, avec une dizaine d’autres, sur une embarcation chargée bien plus que de raison… Mais j’ai bon espoir en regardant l’horizon, de rejoindre l’Italie et enfin vivre une vie digne. Le bateau quitte la côte nord-est de l’île. La houle se lève… Mes yeux sont plein d’espoir.

Face à la pauvreté, deux choix, partir et mourir, ou rester et se battre sur sa terre natale

Au delà de ce conte, nous pensons à tous ces jeunes et moins jeunes qui font le choix de partir vers l’Italie parce que l’espoir réside là-bas. Et pourtant, un autre choix est possible. Certains le font comme Mohamed et Yasmine, Ils ont décidé de rester, de se battre et de créer leur propre activité. Mohamed par exemple a fait le choix de Kerkennah pour proposer sur la route principale de Ouled Yaneg, son street food, Esskifa avec ses propres recettes originales et une mise de départ de 1000 dinars. Quant à Yassmine, elle a opté pour Kerkennah en investissant dans sa boutique et la création de sa marque de vêtements Jassmine B. Alors oui, rester c’est se battre contre la pauvreté, l’incertitude au quotidien. Mais cela vaut le coût quand on peut se battre sur la terre de ses origines et montrer qu’on peut y arriver malgré les difficultés.

Migration climatique et Immigration clandestine “Harka” حرقة

Harka” حرقة (7ar9a), signifie “brûler” ses papiers pour ne plus être identifié à son pays d’origine. La perte du sentiment d’appartenance à un territoire où l’on est né n’est pas un simple détail. Le désespoir est lié à la pauvreté et à ses facteurs déclencheurs tels que l’absence d’éducation, ou les conséquences climatiques désastreuses pour les terres agricoles. Les exodes pour famine ne sont pas nouveaux. Mais chaque époque nous raconte une tragédie pour ces populations désespérées en état de survie.

  • 3 octobre 2013 : 366 personnes mortes noyées au large de Lampedusa (Italie)
  • 22 juin 2023 : 46 morts naufragés au large de Lampedusa (Italie)

Lutter contre l’immigration clandestine

Pour lutter contre cette immigration clandestine “Harka” حرقة (7ar9a),  la Tunisie accueille depuis 2001 sur son territoire L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Cette agence intergouvernementale (Nations Unies) porte un projet intitulé Helma visant à accueillir les jeunes vulnérables susceptibles de tenter une migration irrégulière. L’OIM se trouve dans les gouvernorats de Sfax et Mahdia, les plus enclins au départ de ces mouvements du dernier espoir.

Les opérations de traversées interceptées par région durant novembre 2022 (FTDES N°110)

Les opérations de traversées interceptées par région durant novembre 2022 (FTDES N°110)

 

Le savez-vous ? 575, c’est le nombre de victimes disparues sur les côtes tunisiennes en 2022. Paix à leur âme. Dans son article ” Parlons Harka : le phénomène de l’immigration clandestine en Tunisie”, Mohamed Ali Derbel  présente les statistiques 2021 du rapport FTDES (2021). On estime à plus de 16 000 migrants irréguliers soit plus que la population sédentaire de Kerkennah. En 2020 on en estimait 3000 de moins. Dans le dernier rapport FTDES (2022) parmi les migrants (soit 94 341 entre janvier et novembre 2022), 19% sont Tunisiens. La grande majorité provient d’Afrique subsaharienne. Ces mouvements donnent à la Tunisie un statut de « Transit vers l’Europe ». Ces êtres humains désespérés sont pour 79% d’entre eux des hommes, 13% des mineurs non-accompagnés, 4% des mineurs accompagnés et 4% des femmes.
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Sources exploitées :
Le Monde (23/06/23), “Le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa cause la mort d’une quarantaine de migrants
Ali Derbel M. (06/05/2022), ” Parlons Harka : le phénomène de l’immigration clandestine en Tunisie”
Le tempsnews (07/11/22), “OIM : première promotion du projet « Helma » pour la lutte contre la migration irrégulière
Tassin L. ( 2014), “Accueillir les indésirables, les habitants de Lampedusa à l’épreuve de l’enfermement des étrangers“, Genèses vol. 3, n° 96, p. 110-131.

A propos de l'auteur...

Mehdi Kachouri

Fondateur du site, Kerkenniens dans l’âme et passionné des iles de Kerkennah. Sans trop de chichi ni de paillettes, j’ai ouvert cet espace car depuis son origine, je souhaite pointer les beautés mais aussi les désastres de Kerkennah. Je vous invite à me suivre dans mes échanges si vous le souhaitez.

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