Quand la migration est une source d’espoir et de désillusion…
Nous rêvons tous d’un avenir brillant : les migrants vulnérables n’ont plus rien à perdre
Nous rêvons tous d’un avenir brillant, et des fois, nous rêvons juste d’un avenir meilleur et pour certains, seulement d’un avenir.
Je n’ai pas mon bac parce que l’école c’est pas pour moi. Moi, ce qui m’intéresse c’est d’être initié à la vraie vie, à ce qui se passe dans la rue. J’ai beaucoup d’amis et pas de perspective de travail.
Un jour, mon ami Jafar disparaît
Un jour, mon ami Jafar disparaît. Tout le monde se demande où il est. On apprend quelque temps plus tard qu’il est en Italie. Je l’imagine à la terrasse des bistrots avec une jolie italienne. En costard cravate pour se rendre au travail, gagner des euros et pouvoir envoyer une partie de son salaire à sa mère malade. Moi, entre temps, je grappille de la monnaie par-ci par-la pour pouvoir m’acheter mes cigarettes de la journée et mon capucin au café du coin.
Un jour mon pote Nizar vient me voir
Un jour mon pote Nizar vient me voir. Il me dit qu’il a un plan pour se barrer de ce pays et partir en Europe. “Ça va coûter 4 milles dinars” qu’il me dit en me lançant “tu viens ?”.
Pendant des mois, je harcèle mon frère pour qu’il me prête de l’argent. Il a une une femme et deux enfants. Lui et sa femme travaillent tous les deux. Ils ne sont pas aisés, mais ne manquent de rien. Après 5 mois à lui demander tous les jours, il cède enfin. Il sait que mes parents se font du souci pour mon avenir et décide de me payer la traversée.
Et je pars…
Et je décide de partir. On me donne le nom d’un passeur de Kerkennah, l’horaire du jour de départ moyennant les 4000 dinars. Très tôt le matin, avec presque rien, je pars, avec une dizaine d’autres, sur une embarcation chargée bien plus que de raison… Mais j’ai bon espoir en regardant l’horizon, de rejoindre l’Italie et enfin vivre une vie digne. Le bateau quitte la côte nord-est de l’île. La houle se lève… Mes yeux sont plein d’espoir.
Face à la pauvreté, deux choix, partir et mourir, ou rester et se battre sur sa terre natale
Au delà de ce conte, nous pensons à tous ces jeunes et moins jeunes qui font le choix de partir vers l’Italie parce que l’espoir réside là-bas. Et pourtant, un autre choix est possible. Certains le font comme Mohamed et Yasmine, Ils ont décidé de rester, de se battre et de créer leur propre activité. Mohamed par exemple a fait le choix de Kerkennah pour proposer sur la route principale de Ouled Yaneg, son street food, Esskifa avec ses propres recettes originales et une mise de départ de 1000 dinars. Quant à Yassmine, elle a opté pour Kerkennah en investissant dans sa boutique et la création de sa marque de vêtements Jassmine B. Alors oui, rester c’est se battre contre la pauvreté, l’incertitude au quotidien. Mais cela vaut le coût quand on peut se battre sur la terre de ses origines et montrer qu’on peut y arriver malgré les difficultés.
Migration climatique et Immigration clandestine “Harka” حرقة
Harka” حرقة (7ar9a), signifie “brûler” ses papiers pour ne plus être identifié à son pays d’origine. La perte du sentiment d’appartenance à un territoire où l’on est né n’est pas un simple détail. Le désespoir est lié à la pauvreté et à ses facteurs déclencheurs tels que l’absence d’éducation, ou les conséquences climatiques désastreuses pour les terres agricoles. Les exodes pour famine ne sont pas nouveaux. Mais chaque époque nous raconte une tragédie pour ces populations désespérées en état de survie.
- 3 octobre 2013 : 366 personnes mortes noyées au large de Lampedusa (Italie)
- 22 juin 2023 : 46 morts naufragés au large de Lampedusa (Italie)
Lutter contre l’immigration clandestine
Pour lutter contre cette immigration clandestine “Harka” حرقة (7ar9a), la Tunisie accueille depuis 2001 sur son territoire L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Cette agence intergouvernementale (Nations Unies) porte un projet intitulé Helma visant à accueillir les jeunes vulnérables susceptibles de tenter une migration irrégulière. L’OIM se trouve dans les gouvernorats de Sfax et Mahdia, les plus enclins au départ de ces mouvements du dernier espoir.

Les opérations de traversées interceptées par région durant novembre 2022 (FTDES N°110)
Sources exploitées : |
Le Monde (23/06/23), “Le naufrage d’un bateau au large de Lampedusa cause la mort d’une quarantaine de migrants“Ali Derbel M. (06/05/2022), ” Parlons Harka : le phénomène de l’immigration clandestine en Tunisie”Le tempsnews (07/11/22), “OIM : première promotion du projet « Helma » pour la lutte contre la migration irrégulière“Tassin L. ( 2014), “Accueillir les indésirables, les habitants de Lampedusa à l’épreuve de l’enfermement des étrangers“, Genèses vol. 3, n° 96, p. 110-131. |
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