La mer Méditerranée : la mer du milieu ou “Mer blanche médiane” البحر الأبيض المتوسط
Si l’on pouvait écouter les secrets de cette mer au milieu des terres, nous serions sans doute traversés de centaines d’années d’épopées mêlant sans jamais vraiment les distinguer, nos racines communes d’où que l’on vienne de loin ou de moins loin, autour de cette mer.
Notre Mer, mer suprême vue de Palestine, “grande verte” pour les égyptiens antiques, mare nostrum, Mer blanche pour les ottomans, بحر الروم relient les peuples venus de Mésopotamie, d’Egypte, d’Asie, de Phénicie, d’Afrique berbère, de Grèce et d’Europe. Alors mes frères, d’où que vous veniez, que diriez-vous si je vous invitais à voir en Kerkennah, une table sacrée posée au cœur de ces eaux vertes, blanches et bleues de notre histoire commune ?
Kerkennah la terre au milieu de la mer…
Imaginez les noyaux d’oliviers et pépins de raisins transportés au gré des navires venus de Grèce, de Lybie, d’Italie romaine, de byzance, déposés sur les terres salines de Kerkennah par jour de grand vent et petit à petit coloniser nos iles… on dit que ce sont les Carthaginois qui y auraient introduit la culture de la vigne et de l’olivier qui font des terres de Mellita et de Chergui aujourd’hui des vestiges de cette vie antique aux couleurs ocres, sableuses chaudes et parfumées. Kerkennah a ce pouvoir de nous faire traverser le temps… comme s’il n’existait plus… comme le paradis…
Voyez-vous Annibal fuir les romains lors des guerres puniques entre la grande Rome et la toute aussi grande Carthage ? De Kerkennah, étape d’évasion cruciale, le grand Annibal dit-on avait disparu mystérieusement… rejoignant en secret, Antioche de Syrie pour fuir l’ennemi de Rome venu disputer avec lui le monde !
… au cœur de l’histoire de la civilisation occidentale
Lors de l’effritement progressif de l’empire romain, Kerkennah accueillit le Général Romain Caius Marius et son fils, tous deux échappés en barque jusqu’à l’archipel, alors grenier à blé pour Pompée au temps de la guerre contre Rome. Sous le règne d’Auguste Julius Caesar Octavius Augustus, marquant le passage de l’antiquité à l’ère chrétienne, Gracchus, amant de Julie, fut envoyé en exil à Cercina durant 14 ans, par Auguste irrité des frivolités de sa fille unique. Kerkennah se trouve au coeur du partage de l’empire romain entre Octave en charge de la partie occidentale de l’empire et Auguste en charge de la partie orientale et dont on connait les aventures avec Cléopâtre.
Kerkennah est témoin d’une époque épique, parfois refuge, terre d’exil ou havre de paix. C’est de cette époque faste dont s’inspira le poète Ovide (dont l’exil obscure semblerait d’ailleurs lié à celui de Julie) pour saisir la légèreté des amours leur donnant grâce pour se consacrer ensuite aux Métamorphoses, sur les légendes grecques et sur les traditions romaines, racontant ainsi une longue histoire qui traversa Kerkennah d’Ulysse à Auguste, donnant naissance à cette chaussée romaine d’El Kantara entre les deux îles.
L’archipel relèvera ensuite de Byzance et serait devenue chrétienne, accueillant sur ses terres salées en 484 l’évêque Attendus Cercinatanus jusqu’au 6e siècle durant lequel on associe quelques vestiges d’un monastère construit hypothétiquement par Saint Fulgence sur le “Roc de Chimli”, îlot qui pourrait être l’actuel Roumedia.
Le développement du commerce méditerranéen fera de Kerkennah une halte désirée par les Normands de Sicile, les Almohades marocains, Pierre d’Aragon sous la domination catalane, puis les Turcs et les Espagnols aux incursions successives. Kerkennah fut déclarée concession sous le Pape Boniface VIII en fief du Saint Siège (1295), puis obtient son indépendance en 1335 par la lutte des kerkenniens contre les chrétiens pour devenir ensuite pour un court moment sous domination des Hafsides. Le Fortin turc Le Bordj El Hissar, proche de l’ancienne Cercina partiellement immergée aujourd’hui, raconte cette époque sur la côte Ouest de Kerkennah, face au continent, il témoigne “du duel Hispano-Turc pour la prépondérance en Tunisie” (A. Louis, p. 28) jusqu’à la moitié du 16e siècle dont on identifie alors déjà 7 villages. La migration vers l’archipel marquera ensuite Kerkennah attirant les continentaux venus du Sahel, de Sfax, de Mahdia, de Djerba, apporter leurs techniques, échanger leurs traditions, s’inspirer des procédés de construction adaptés aux vents… Pour devenir sédentaires et pécheurs.
D’une insularité préservée à une terre malmenée
Le développement de chaque village reposera sur une technique particulière maitrisée formant des quartiers par affinités ou communauté d’origine. La vie moderne attirera les Kerkenniens vers le continent et les “nouvelles kerkenna” se développeront comme ses villages originels, en des quartiers communautaires à Sfax, Sousse et Tunis où les familles kerkeniennes exilées viendront s’installer.
Aujourd’hui Kerkennah témoin de l’histoire des civilisations de la méditerranée souffre d’indifférence et de maltraitance malgré une beauté qui semble éternelle, identique à celle décrite par Hérodote. Victime silencieuse d’une modernité néfaste faite de pollution, de destruction des ressources naturelles et pourtant….
Souvenons-nous en 217 av. J.-C., à la différence de Djerba, Kerkennah riche et fertile sera épargnée par le Consul Germanus et sa flotte de cent vingt voiles. Pourquoi ? Les kerkenniens donneront dix talents d’argent pour que leurs moissons ne soient pas brûlées, préservant ainsi les richesses de leur archipel contre l’agresseur extérieur. Quel Kerkennien en effet n’oserait pas tout faire pour son ile !
Moncef
Excellent récit sur kerkennah, ceci m’a permis de voyager et remonter le temps. Merci à vous tous
Warda
Oui un récit qui nous montre que l’histoire s’écrit par nos actes et les valeurs que l’on défend et pour Kerkennah en particulier symbole de notre civilisation de Méditerranée d’est en ouest et de sud en nord.
Mehdi Kachouri
merci pour ton commentaire Warda ! l’Histoire s’écrit avec un grand H quand il y a de grands Hommes !