La photographie est-elle un art multiple ?
La photographie : un art parmi les beaux arts
Distincts des arts appliqués, les « beaux arts ” ainsi qualifiés au 18ème siècle regroupaient l’architecture et les arts plastiques et graphiques (sculpture, peinture, gravure). Une tolérance était accordée pour la musique et la danse. Le dictionnaire Larousse nous enseigne que “son utilisation est aujourd’hui parfois remise en question, notamment à cause de pratiques artistiques bousculant la relation jusque-là évidente entre l’art et la notion de beau.”

Famille Kachouri : Omi Aicha & son fils Moncef – Kerkennah 1968
On comprend que la photographie soit devenue un des poils à gratter des conservatismes y compris en son sein ! Ainsi le subversif William Klein, peintre au coté de Fernand Léger, sculpteur, cinéaste et photographe, décédé ce 12 septembre 2022, a-t-il bousculé lui-même l’art photographique. Il fit un pied de nez à l’ordre établi, en privilégiant a contrario, le regard du sujet vers le photographe. L’œuvre originale de son auteur se définit donc par subjectivité. L’œuvre porte l’empreinte de la personnalité de celui qui l’a créée.
La technologie comme vecteur d’expression
L’évolution des technologies et des usages permet d’intégrer de nouvelles formes d’expression et de création du regard de l’Homme sur la société. Ainsi la légitimité de l’art photographique ne se discute plus. Tout comme d’autres formes artistiques, telles que l’art cinématographique ou numérique par exemple, l’art photographique repose sur des technologies qui ouvrent de nouvelles perspectives. L’artiste s’autorise avec elles, la fusion de différentes pratiques artistiques originelles.
Ainsi le Dadaïsme, le futurisme ou le surréalisme ont ils marié photographie et peinture pour ouvrir de nouveaux espaces impensés. Que ce soit ces espaces imaginés de l’art pictural, ou ceux dans lequel voyage le regard de l’artiste, ou ces espaces intimes du rapport au monde pour celui qui regarde l’œuvre. Qu’il s’agisse de “faire avec” ou de “résister en détournant la technologie” (Jauréguiberry, Op. Cit.), le numérique aujourd’hui est en train de faire à la photographie ce qu’elle même a fait à la peinture… De nouveaux mondes s’ouvrent donc à nous !
Le photographe, poète et peintre de l’instant
Aujourd’hui la légitimité de l’art photographique n’est donc plus à discuter. Le numérique vient en renforcer le rôle subversif. La photographie éveille les consciences. Comme tout art, elle nous renvoie, nous spectateur, à notre propre compréhension du sujet. Nous entrons en résonance avec l’œuvre, à la recherche du sens, des sens. Et sans aucun doute, pour nous, l’art, et la photographie en particulier, parce qu’elle capte l’instant d’éternité, brise les illusions. Elle a ce potentiel, celui de violenter notre confort de pensée. Ce faisant, elle convoque notre aptitude à la liberté. Elle nous réveille de notre paisible sommeil pour regarder en face ce qui est et nous invite à penser ce qui pourrait être.
Pensées profondes de Siméon
Notre rapport à l’art, dans son essence même, est un acte de citoyenneté. Si l’art est une forme d’expression poétique du monde et de l’univers, la poésie de la photographie réside dans sa capacité à saisir un instant universel. La photographie offre une possible poésie dans le coeur de celui qui la regarde. Cela nous fait naturellement penser à SIMEON qui au sujet de la poésie, elle-même, nous enseigne avec une beauté suprême ce qu’elle est. Mais elle nous renvoie aussi à la photographie dans sa dimension poétique :
“Un infini de l’imaginaire quand s’impose partout à nous l’image aliénante. Une puissance de vérité face à l’accablant triomphe de la dite réalité. En prise directe avec la chair des choses, une échappée hors des médiations fonctionnelles, des tamis efficaces, des filtres utilitaires – tous ces prismes qui vident le monde de sa substance. Une forge de la métaphore. Un atelier du silence. Un ouvroir d’expériences. Une ivresse du sens. Une matière à sensations. Une explosion de vie” (Siméon, 2016)
En ce sens, le photographe est un poète peintre de l’instant de vie, que cet instant soit beau, bien ou vrai, ou tout l’inverse. L’âme du photographe dans son acte de liberté entre alors en résonance avec l’âme de celui qui regarde cette prise libre de l’instant. On dépasse de loin l’art d’imitation ou de reproduction dans laquelle la photographie avait pu être cantonnée à ses débuts comme nous le rappelions dans La photographie est-elle un art ? Ainsi, en référence à Eugène Delacroix qui considérait que contrairement au photographe, le peintre retouche son sujet pour tendre vers le beau, le numérique aujourd’hui, par les retouches qu’il permet, redonne au photographe la compétence du peintre !
L’autre coté de la pièce…
Alors qui de Paul Delaroche (1797-1856) ou de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780 – 1867) aura le dernier mot ? Si le premier considère lors de sa visite à Daguerre que « La peinture est morte à partir de ce jour » ; le second affirme quant à lui, que “la photographie c’est mieux qu’un dessin mais il ne faut pas le dire“.
Sources d’inspiration : |
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Pierre Gassin
Il y a tellement à dire sur ce sujet… Sinon je rappelle que la photo a toujours été manipulée/développée pas ses auteurs. La grande vaque de Gustave le Gray (1857) est déjà un montage 😉 Le numérique n’a rien changé à mon avis…
Pierre Gassin
Autre remarque : la mission héliographie (commande du patrimoine) de 1851 regroupait des premiers photographes, à l’époque des peintres médiocres pour la plupart. La photographie leur a permis une autre expression ! (Henri Le Secq, Gustave Le Gray, Auguste Mestral, Édouard Baldus et Hippolyte Bayard).
Mehdi Kachouri
Cher Pierre, merci pour ton commentaire pointu de photographe professionnel. Et merci aussi pour le partage de l’oeuvre de Gustave le Gray ainsi que la mention de ses confrères piètres peintres et/ou photographes.
En effet, l’art photographique est un processus de création, avec, comme tu le dis ses manipulations, ses développements.
Ne penses tu pas que la technologie numérique apporte une perspective spécifique ?
Pierre Gassin
Mehdi Franchement non… ça a toujours existé. Regarde les films de Méliès… Il y avait même une publication mensuelle de trucages photographiques avant les avant-gardes… vers 1880 ! Le numérique a fait peut-être prendre conscience au grand public des possibilités. Mais cette facilitation n’a pas joué à mon avis dans le bon sens de la créativité ! Regarde les polarisations de Man Ray, les distorsions de Kertesz… Rappelle-toi la publicité b Boursin : la bouche, le cou, les mains n’étaient pas de la même personne… Pour les portraits Harcouts, dans les grandes années, les plan film 13×18 cm étaient retouchés directement côté émulsion, préalablement huilée, avec une mine de plomb. Il y avait 4 retoucheuses à plein temps. Le grain de la mine de plomb remplaçait le grain du plan-film… Donc les visages, leur forme, les ombres, la peau : tout était refait !
Mehdi Kachouri
Merci Pierre pour ton éclairage et ton point de vue.
Le numérique selon toi n’innove donc pas en matière de retouche photo (d’autres techniques ont précédé).
Pour autant ne peut on pas imaginer le potentiel nouveau que le numérique offre au professionnel comme à l’amateur qui aujourd’hui peut travailler ses photos d’une manière inédite nous semble-t-il. Entre la 3D et autres effets…
Pierre Gassin
Les anciens films aussi étaient créés en studio : Hôtel du nord, à part la scène de la kermesse, a été entièrement fait en studio ! On se portait très bien avant le numérique 😀
Pierre Gassin
Mehdi Là encore la 3 D date. L’holographie a plus de 50 ans. Quant aux effets… c’est comme les filtres sur Instagram 🙂 Bof 🙂 Je pense sincèrement que la créativité en photographie était plutôt du côté des modernes, c’est à dire dans les années 20 !
Mehdi Kachouri
Ton point de vue Pierre est très intéressant. Ton « rejet » de l’apport véritable du numérique à la photographie se defend compte tenu des arrangements techniques anterieurs comme tu nosu l’enseignes ici, sur les fims comme sur la photographie. Mais comme toute technologie, elle génère des « pour et des contre » par rapport à un ordre établi. Sans prétendre trancher ici nous posons ensemble le débat ! C’est tout l’intérêt !