Devenir de la Posidonie post-antropocène !
L’anthropocène : Civilisation du 21e siècle, toujours primitive ?
Crutzen et Stoermer (2000) sont à l’origine de la qualification de l’ère géologique actuelle, dite anthropocène. Selon eux, notre ère se définit par une domination de l’homme sur son environnement. Selon Bouchard Bastien (2017), “l’Anthropocène débuterait vers la fin du 18e siècle, concordant avec le développement de nouvelles technologies qui affectent l’environnement de façon globale, comme l’invention par James Watt de la première machine à vapeur (en 1784), et l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) sur la planète”. Alors oui, la technologie a apporté beaucoup au progrès mais on ne peut ignorer les conséquences nuisibles sur l’environnement. De nombreux exemples depuis Watt nous viennent aisément à l’esprit. Secteur automobile, secteur de l’énergie, Progrès et Environnement ne se conjuguent pas forcément !
La volonté d’agir
Notre civilisation prend la mesure de son impact sur la planète qui nous permet de vivre. Les programmes de développement durable se propagent sur tous les continents depuis la fin du 20e siècle. Des actions ponctuelles comme le festival des crabes bleus, financées par des programmes internationaux et nationaux sont des actions visibles démonstratives d’une certaine volonté d’agir pour préserver la vie sur Terre et réduire l’impact anthropique négatif (voir aussi notre article Nations Unies et kerkennah : objectifs de développement durable).
La volonté aussi de continuer comme avant
Paradoxalement, notre civilisation poursuit inlassablement son raisonnement : optimiser et valoriser les ressources naturelles plus que jamais. Gaz de schiste (dit aussi de shale au Québec), exploitation du crabe bleu invasif et d’autres richesses insoupçonnées des fonds marins, rien n’échappe au radar optimisateur et exploiteur de l’homme. A certains égards, nous sommes encore une civilisation bien primitive.
Sans verser dans le catastrophisme, les forces contraires de notre société dominante marquent l’anthropocène au fer rouge. Trace indélébile des conséquences de notre interdépendance face à laquelle nous apparaissons plus impuissants que dominants.
Posidonie sacrée : Une exigence vitale
Parmi les 17 objectifs de développement durable définis par les Nations unies, celui relatif à la Vie aquatique (“Life Below Water“, objectif 14) mérite qu’on s’y penche. “Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement”. Ainsi plusieurs programmes fleurissent pour tendre vers cet objectif. Par exemple, l’actualisation du plan de gestion intégrée des zones côtières de l’archipel de Kerkennah” intègre la variabilité et les changements climatiques dans les stratégies nationales de gestion intégrée des zones côtières (GIZC).
Des objectifs modestes mais déterminants
Trois conventions de RIO (sur le changement climatique, la diversité biologique et la lutte contre la désertification) apportent un cadre d’action pour conserver la nature. Il s’agit de s’en emparer si l’on veut agir véritablement. L’enjeu est fondamental de la vie sur la planète pour nos héritiers.
Citons 4 principes de la biodiversité marine :
- Le maintien des habitats de biodiversité
- La restauration des zones de biodiversité détruites ou fragmentées
- La création des espaces favorables à la biodiversité
- La préservation des fonctionnalités des écosystèmes
Concrètement, les décisions visent à garantir la variabilité du nombre d’organismes vivants. C’est le sens de l’encadrement des activités humaines de chasse et de pêche, de protection des habitats des espèces rares ou en extinction, de contrôle/réduction des activités polluantes et de renfort des espèces réintroduites. L’utilisation durable des ressources issues de la biodiversité devient un credo international. Il exige un partage juste et équitable des bénéfices de cette exploitation. Cela renverse les rapports de force dans les chaines de valeur impliquant différentes parties prenantes, certaines puissantes économiquement, d’autres plus modestes. Nous pensons notamment aux pécheurs traditionnels de Kerkennah. Face aux Chalutiers et à l’industrie piscicole, les gardiens d’une pêche durable luttent avec honneur, encore aujourd’hui tant bien que mal.
Bien entendu tous ses efforts visent à amortir l’impact négatif de notre empreinte sur la nature et renforcer nos impacts positifs. Cela demande d’engager des partenariats scientifiques entre les pays car l’interdépendance nous concernent tous simultanément. La tâche est rude, à la hauteur du bien commun.
Pour la préservation de Posidonie
Le rapport Dumestre et alii. (2022) rappelle la définition proposée par Arber (1920) de la famille des phanérogames dites « marines » à laquelle la Posidonie appartient. Ce sont des angiospermes dotés des propriétés suivantes :
- Capacité à passer la totalité de leur cycle vital en milieu halin
- Croissance possible en étant totalement immergée
- Système racinaire leur permettant de s’ancrer dans le sédiment
- Pollinisation en milieu marin
On comprend donc la nécessité en continu, de préserver cette espèce tout au long de son cycle de vie et de reproduction qui lui permet de s’étendre sur des dizaines de mètres carrés voire des dizaines d’hectares de prairie en formant au mètre carré, quelques dizaines à plus d’un millier de pieds.
La posidonie, ingénieur d’écosystème en 9 vertus !
Ces herbiers jouent un rôle d’ingénieur de l’écosystème. En effet, en se développant, la posidonie modifie “l’hydrodynamisme et la dynamique sédentaire” qui agissent sur le biotope (milieu de vie) et la biocénose (communauté biologique) du milieu. Ainsi, là où il y a de la posidonie saine et préservée, il y a biodiversité. En reprenant Dumestre et alii. (2022) la posidonie est un allié de tous, à condition que la salinité ne varie pas beaucoup. En effet la posidonie est une espèce sténohaline autrement dit, “elle “tolère très peu de variations de la salinité et vit dans des milieux où la salinité est constante” (salinité comprise entre 36 et 43). Comme le souligne Médail (2022, p. 36), “à l’interface terre-mer, l’éco-complexe banquette de posidonie joue un rôle, bien trop méconnu, de pivot dans le fonctionnement des systèmes côtiers, et il mérite une protection accrue et réellement efficace.”
Les 5 fonctions majeures de la posidonie dans la régulation de l’écosystème marin
- Support de vie (notamment sur les rhizomes et les feuilles)
- Zone de protection
- Zone d’alimentation
- Zone de reproduction et de nurserie
- Acteur du cycle du carbone en milieu côtier : par exemple Médail relève qu'”aux Baléares, les 67 000 hectares couverts par les herbiers à posidonie entourant l’archipel compensent 8,7 % des émissions locales de carbone, et la totalité du stock séquestré équivaudrait à cent cinq ans d’émissions de CO 2 pour ces îles.” Incroyable n’est-ce pas ?
Les 4 raisons de la posidonie alliée de l’Homme
Les herbiers de Posidonie sont de vrais alliés pour l’Homme aussi. Voici 4 raisons essentielles.
- Réducteur de l’impact des tempêtes en dissipant l’énergie des vagues,
- Gardien des plages contre l’érosion par accumulation de débris de végétaux (banquettes) sur le rivage
- Nettoyeur en diminuant rapidement la turbidité de l’eau par la sédimentation rapide des particules en suspension
- Régulateur des stocks de poissons grâce à sa fonction d’habitat naturel qui permet d’assurer la pérennité des espèces
Question de vocabulaire
Comme toute “espèce ingénieur” (engineers species) définie par Lawton (1994), la posidonie est un organisme qui module directement ou indirectement la viabilité des ressources et cause un changement dans le plan physique de l’écosystème (paramètres abiotiques). Il existe des espèces ingénieurs auto-géniques, qui changent l’environnement par leur viabilité physique. C’est le cas de la Posidonie. Il existe aussi des espèces ingénieurs allo-géniques (qui changent l’environnement physique où elles vivent comme les lombrics et les castors).
En définitive, la Posidonie est considérée comme “monument naturel d’intérêt patrimonial” car elle détermine l’abondance sédimentaire. Elle fait partie des projets de surveillance en Tunisie (Medpartnership) et notamment aussi en France (Corse) où elle est très présente (87 600 hectares) AUx Baléarres elle s’étend sur 67000 hectares d’après Médail (2022). Elle fait l’objet d’une évaluation de son état écologique et figure dans la liste rouge des écosystèmes des herbiers de phanérogames marines. C’est aussi une ressource qui attire bien ou malheureusement la recherche pour sa valorisation des déchets de Posidonia oceanica. Certains projets portent sur la production de nanomatériaux biosourcés économiques. Toutefois pour qu’ils le restent, la gestion de la posidonie dans son environnement doit garantir la stabilité de l’écosystème. Le prélèvement d’herbier à des fins commerciales ou techniques appliquées doit donc respecter les 4 principes fondamentaux de la biodiversité cités plus haut.
Et nous terminerons en partageant analyse et résultats intéressants issus des rapports Medpartnership (2015) et de Dumestre (2022).
Et étonnez-vous ici des menaces identifiées par les kerkenniens lors d’un vote consultatif en 2015. Les insulaires témoignent clairement de l’antropocène à Kerkennah. On comprend encore davantage le rôle précieux de la posidonie pour la biodiversité.
Sources exploitées : |
Bouchard Bastien E. (2017), “L’impact anthropique des changements climatiques : nouveau constat scientifique ?” https://www.inspq.qc.ca/bise/l-impact-anthropique-des-changements-climatiques-nouveau-constat-scientifiqueChatenoux, B., Allenbach, K., Peduzzi, P., Lafitte, A., Touzi, S. & Ben Zakour, M. 2015. Intégration de la variabilité et des changements climatiques dans les stratégies nationales GIZC : Contribution à l’actualisation du plan de gestion intégrée des zones côtières de l’archipel de Kerkennah. GRID-Genève, Plan Bleu et GWP Med.Dumestre M., Janson A.-L., de Bettignies T. (2022) Etude de faisabilité pour la Liste Rouge des Ecosystèmes des herbiers de phanérogames marines de France métropolitaine. Rapport PatriNat (OFB-CNRS-MNHN), 41 ppLes Echos, “En trente ans, la biodiversité s’est « effondrée » en Méditerranée”, https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/en-trente-ans-la-biodiversite-sest-effondree-en-mediterranee-1321441Médail, F. (2022). L’écosysteme méditerranéen : états d’urgence. Pouvoirs, 183, 27-41. https://doi.org/10.3917/pouv.183.0027https://aquadocs.org/handle/1834/8722https://hal.sorbonne-universite.fr/hal-02890022/documenthttps://planbleu.org/wp-content/uploads/2016/01/Medpartnership_Kerkennah_full_report_FR.pdfhttps://link.springer.com/article/10.1007/s13762-021-03307-0https://link.springer.com/article/10.1007/s10811-021-02579-whttps://www.theses.fr/2022GRALI052 |
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