Réseaux sociaux : miroir, joli miroir dis moi qui est le plus beau ?
RĂ©seaux sociaux : De l’information, Ă l’info sur Soi
En tant que reprĂ©sentation imagĂ©e de lâorganisation sociale, le rĂ©seau permet dâĂ©voquer lâidĂ©e de connexion, de flux, dâĂ©change, dâinteraction, de liens et dâalliances (Bagla-Gökalp, 2000). Granjon (2011) constate ainsi que “les auto(re)prĂ©sentations numĂ©riques de soi ne cessent de prendre de lâampleur”. Cela permet de voir dans le rĂ©seau social numĂ©rique “des formats dâexposition de soi” qui se prĂ©sentent sous forme de profils en 2 dimensions :
- des traits identitaires (plutĂŽt stables) qui donnent une image de ce que lâon est (ou dit ĂȘtre nous prĂ©cise Granjon)
- des caractĂ©ristiques (plutĂŽt instables) qui concernent les prĂ©fĂ©rences de soi et de ce que lâon fait.”
Vous vous reconnaissez probablement dans cette dĂ©finition Ă©gotique de ces formats d’exposition de soi sur le rĂ©seau social ? Granjon nous rappelle finalement que le rĂ©seau social numĂ©rique nous invite Ă crĂ©er notre identitĂ© narrative (RicĆur, 1988) ou Ă produire une Ă©criture de soi (Foucault, 2001).
Réseaux sociaux et sentiment égotique
Cette toile des interconnexions offre un terreau idĂ©al pour nourrir le sentiment Ă©gotique d’exagĂ©ration de la personnalitĂ©, conduisant Ă parler de soi en permanence. Que ressent l’Ă©gotique ? Un dĂ©sir insatiable de montrer avec une immense jouissance, aux autres, au rĂ©seau, son importance et ce qu’il fait.
Sans cette dimension Ă©gotique, le rĂ©seau de liens peut concourir Ă de belles choses comme le partage d’une information relative Ă une action, Ă une oeuvre. Ainsi comme le souligne Bagla-Gökalp (2000), “les dĂ©cisions des individus sont uniquement intelligibles dans le cadre de leurs liens sociaux ou de leurs rĂ©seaux de relations interpersonnelles”. Comme le rappelle l’auteur, le rĂ©seau est un concept qui n’est pas nouveau. Notamment ce qui est crucial dans le rĂ©seau (quel qu’il soit) c’est la vertu crĂ©atrice du lien. Que crĂ©e-t-il ? Le rĂ©seau, crĂ©e un sentiment dâappartenance et dâobligations. Se dĂ©gager de ces pressions de groupe revient Ă sortir du rĂ©seau. S’en nourrir est Ă©gotique.
Pour nombre de sociologues, les liens informels et les rĂ©seaux interpersonnels sont la clĂ© de comprĂ©hension des comportements de l’individu encastrĂ© dans un tissu social. Les rĂ©seaux numĂ©riques ne semblent pas faire exception. Ils peuvent mĂȘme aussi conduire Ă des rĂ©actions peu glorieuses et peu (non) altruistes de cyber-harcĂšlement notamment et dans sa version haineuse, de “Hate bashing”.
Le hate bashing : une limite des réseaux sociaux
Il vous est peut ĂȘtre arrivĂ© de critiquer ou de vous faire critiquer sur les rĂ©seaux sociaux, nommĂ©ment ou non mais par principe toujours en “public” puisque le rĂ©seau profite des commentaires qui y sont dĂ©posĂ©s…
Les insultes indirectes et le partage sur les rĂ©seaux pour sâadresser Ă une personne sont dâune maturitĂ© exemplaire. Le « hate bashing », sans vraiment nommer la personne visĂ©e, est un mode dâagression, une forme dâharcĂšlement indirect, passif-agressif. Ce type de comportement est digne dâune personne trĂšs courageuse pour assumer les consĂ©quences nĂ©gatives dâune confrontation directe.
Un message agressif et public “l’air de rien” est rĂ©vĂ©lateur de la fragilitĂ© de son auteur. Entre problĂšme dâestime de soi, de contrĂŽle sur l’autre, de frustration que l’auteur n’arrive pas Ă gĂ©rer, on lit Ă travers un commentaire de hate bashing l’intimitĂ© psycho-affective de l’auteur qui se dĂ©voile comme un enfant qui pique sa colĂšre sur la place publique. Cela fait l’effet d’un message clair « Je crie au monde entier que je suis frustrĂ© et que je nâaime pas ne pas contrĂŽler lâautre⊠».
Le réseau social : utile à qui ?
Chez Kerkenniens, nous sommes de plus en plus dubitatifs de l’intĂ©rĂȘt des rĂ©seaux sociaux et de leur impact sur la sociĂ©tĂ©. Certes, pour ce qui nous concerne, kerkenniens les utilise pour partager le contenu mĂȘme de la vie de l’archipel qui porte son nom. Nous partageons en effet les articles que nous publions sur le site pour qu’ils puissent ĂȘtre lus et donner Ă chacun de l’information susceptible de les intĂ©resser et d’aider les acteurs du territoire de Kerkennah.
Partager du contenu peu lu… sur les rĂ©seaux sociaux
Cette volontĂ© de partager est la raison d’ĂȘtre de notre site. Mais nous devons le constater, peu de personnes lisent entiĂšrement nos articles que nous mettons des heures Ă rĂ©aliser… Nous pouvons Ă©crire n’importe quoi, produire un contenu totalement loufoque, les like continuent sur les pages facebook ou Instagram de Kerkenniens. Un jour nous le ferons… et nous constaterons…
DĂ©voiler sa fragilitĂ© sans s’en rendre compte : pris dans la toile du filet psycho-affectif
Nous voyons un phĂ©nomĂšne qui nous semble assez typique et caractĂ©ristique de notre monde contemporain. Il s’agit de l’autosatisfaction. Oui oui, la pratique de l’auto-compliment et de “l’auto-moi-mĂȘme”… Le truc assez surprenant c’est de poster des choses et de se fĂ©liciter des actions en s’auto-complimentant. Miroir, joli miroir, dis moi qui est le plus beau ? N’y a-t-il pas lĂ de quoi donner envie de rĂ©flĂ©chir Ă 2 fois ou mĂȘme Ă 3. Comme le conte nous l’enseigne, la rĂ©ponse du miroir est destructrice mais la question est rĂ©vĂ©latrice du problĂšme de dĂ©part.
Besoin de reconnaissance : le puits sans fond…
Pourquoi, quand on fait une action, a-t-on besoin de le crier haut et fort, parce qu’on en est l’initiateur, ou l’organisateur ? C’est moi moi moi qui l’ai fait ! Grand besoin de reconnaissance s’il en est ! Le rĂ©seau social numĂ©rique est un palliatif des souffrances. Il se nourrit des blessures de reconnaissance de l’individu. Un rĂ©seau social ne se porte jamais aussi bien que quand les acteurs du rĂ©seau dĂ©versent leur fragilitĂ© (rejet, besoin de reconnaissance, humiliation, besoin d’estime de soi). Sur la toile des interconnexions, les liens par nature et par structure amplifient le son de la souffrance et des blessures narcissiques. Le bashing peut alors devenir collectif et dans tout les cas, malsain et destructeur.
Le réseau comme source narcissique
OK nous comprenons qu’il est important de communiquer sur les actions. Mais faire de l’auto-promotion ou du moins avec toujours les mĂȘmes personnes qui complimentent le mĂȘme type d’actions fait perdre le sens mĂȘme du partage. L’objectif Ă©tant de communiquer des actions dans un but commercial (ou non), il s’agit de donner la possibilitĂ© aux autres d’adhĂ©rer Ă ces actions. Or on dĂ©couvre une auto-satisfaction Ă l’extrĂȘme pour donner un sens Ă une vie peut-ĂȘtre peu glorieuse, mais qui donne l’impression d’ĂȘtre une cause importante. Le rĂ©seau social devient un support du marketing de soi…

Le rire de Kali qui regarde la nature humaine
Revenons Ă des choses simples et efficaces : aider sans attendre en retour quoi que ce soit !
Dans les trois religions monothĂ©istes – le judaĂŻsme, le christianisme et l’islam – il existe des enseignements qui soulignent l’importance de l’humilitĂ© et de la modestie pour les croyants. Voici quelques passages clĂ©s dans chaque religion qui mettent en avant cette idĂ©e :
- JudaĂŻsme
1. Proverbes 11:2 : “L’orgueil vient, puis vient la honte; la sagesse est avec les humbles.”
2. Psaume 131:1 : “Ăternel, je n’ai ni un cĆur qui s’enfle, ni des regards hautains; je ne m’occupe pas de choses trop grandes et trop relevĂ©es pour moi.” - Christianisme
1. Matthieu 23:12 (JĂ©sus enseignant) : “Quiconque s’Ă©lĂšvera sera abaissĂ©, et quiconque s’abaissera sera Ă©levĂ©.”
2. Philippiens 2:3 : “Ne faites rien par esprit de rivalitĂ© ou par dĂ©sir d’une gloire sans valeur, mais avec humilitĂ© considĂ©rez les autres comme supĂ©rieurs Ă vous-mĂȘmes.” - Islam
1. Coran 25:63 : “Les serviteurs du Tout MisĂ©ricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent Ă eux, disent : “Paix !”.”
2. Hadith de l’islam, rapportĂ© par Muslim : “Quiconque s’humilie par modestie, Allah l’Ă©lĂšvera.”
Ces passages soulignent tous l’idĂ©e qu’il est important pour les croyants de rester humbles et de ne pas chercher Ă se valoriser de maniĂšre excessive. Ils invitent Ă adopter une attitude de modestie envers les autres et Ă reconnaĂźtre notre position en tant qu’ĂȘtres humains devant “Dieu”.
Se dĂ©tacher du miroir pour ĂȘtre dans la plĂ©nitude de ce que l’on est : notre altĂ©ritĂ©
Au delĂ des sources religieuses monothĂ©istes, si nous cherchons dans la philosophie bouddhiste, l’humilitĂ© et la non-valorisation de soi sont Ă©galement des principes importants. Voici quelques enseignements bouddhistes qui mettent en avant cette idĂ©e :
- 1. Dhammapada 61 : “Ne sous-estimez pas les petites bonnes actions, car une petite Ă©tincelle peut allumer un feu immense.”
- 2. Dhammapada 5 : “Ne pense pas lĂ©gĂšrement des actes nĂ©gligĂ©s, disant : ‘Ce ne sont que des petites choses.’ De goutte en goutte, un vase se remplit ; de mĂȘme, le sage s’emplit de mĂ©rites.”
- 3. Anguttara Nikaya 6.10 : “Quiconque est humble et libre de l’orgueil est vraiment noble.”
- 4. Sutta Nipata 1161-1162 : “Un sage ne se vante pas, ni d’habiletĂ© ni de pouvoir. Simplement, Ă l’abri de l’ignorance et de l’attachement, il surmonte ses propres peines.”
Le non-soi : clé de la libération
Dans le bouddhisme, l’accent est mis sur la rĂ©alisation de la vacuitĂ© de soi et la reconnaissance de l’interconnexion de tous les ĂȘtres. La doctrine du non-moi est au coeur de la pensĂ©e boudhique (Lamotte, 1977). L’humilitĂ© est encouragĂ©e en tant que moyen de transcender l’ego et de cultiver la compassion envers les autres. Le renoncement Ă l’attachement et Ă l’orgueil est considĂ©rĂ© comme un chemin vers l’Ă©veil et la libĂ©ration du cycle des souffrances.
Que sommes-nous aujourd’hui pour dire que nos actions sont magnifiques et pleins de bonne volontĂ© ? Essayons de nous recentrer sur l’essentiel en aidant notre prochain sans rien attendre en retour…. Il est temps de changer de cap cher(e)s ami(e)s et de revenir Ă l’essentiel, notre altĂ©ritĂ©, notre rapport Ă l’autre commence par le rapport Ă soi.
“Notre petit Moi n’en est pas un mais nous l’entourons d’amour et de soins, nous le dĂ©fendons avec haine et acharnement contre toute attaque extĂ©rieure et que d’illusions ne nous faisons-nous pas Ă son sujet ?” (Lamotte, 1977, p. 71)

Kali, dans sa version d’elle-mĂȘme, plĂ©nitude de Soi
Sources inspirantes : |
Bagla-Gökalp L. (2000), “Quelques approches sociologiques de rĂ©seaux sociaux”, revue Geras, RĂ©flexions sur le cognitif, Approche du discours scientifique, Ouvertures sociologiques, Ătudes de genre, Ă©tudes de discours, p. 201-229. Granjon, F. (2011). De quelques pathologies sociales de l’individualitĂ© numĂ©rique: Exposition de soi et autorĂ©ification sur les sites de rĂ©seaux sociaux. RĂ©seaux, 167, 75-103. https://doi.org/10.3917/res.167.00 Lamotte E. (1977), “Le Concept de vacuitĂ© dans le bouddhisme”, Bulletins de l’AcadĂ©mie Royale de Belgique AnnĂ©e 1977, 63 pp. 66-78. |
Pierre Gassin
Je me suis fait connaĂźtre en Tunisie par les rĂ©seaux sociaux -surtout Facebook. Et je peux vivre en Tunisie que grĂące Ă ĂȘtre toile. Encore faut-il savoir lâinutilisĂ©e. Ne pas mĂ©langer public et intime. Mais ĂȘtre sincĂšre oui. Ăa aide. Et ça marche. Je nâai pas encore trouvĂ© dâoutil plus efficace pour communiquer et vendre. Donc vivre. Câest aussi parce quâon peut le gĂ©rer seul sans doute. .
Mehdi Kachouri
Bonjour Pierre,
Merci pour ton témoignage.
Les rĂ©seaux sociaux sont en effet un outil et comme tout outil, on est libre de sâen servir comme on le souhaite.
Briller en ligne, se faire connaitre, prĂ©server lâintime de la vie publique ou tout mĂ©langer, insulter derriĂšre son Ă©cran et blesser les gens, ou partager de belles actions pour aider les autres. La libertĂ© se situe au cĆur de ces choix dans lâaltĂ©ritĂ© et le respect mutuel.