Charfiya, une technique de pêche artisanale
La pêche : un rapport au monde aquatique et à la biomasse
La pêche est une activité de capture d’animaux marins, tels que les poissons, mollusques et invertébrés prioritairement comestibles. Elle repose sur différentes méthodes de capture en distinguant, la capture active qui traque l’animal aquatique (harpon, senne, chalut) et la capture passive, qui consiste à attendre la prise à l’aide d’un dispositif (piège, ligne, filet). Dans les deux cas, selon les techniques employées, l’impact sur la biomasse est très différent.
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Techniques de pêche intelligente de gestion de la biomasse
Certaines techniques de pêche professionnelle sont dévastatrices du milieu marin, sans scrupule. D’autres, professionnelles aussi, sont respectueuses de l’environnement marin, discrètement. La conséquence est directe sur la biomasse. La biomasse se définit comme la masse de matière vivante aquatique subsistant en équilibre dans un biotope délimité. Cela se comprend aisément. En cas de pratiques de techniques de pêche dévastatrices, l’éradication massive d’organismes vivants, a fortiori à toute saison (y compris de reproduction), perturbe l’écosystème jusqu’à faire disparaitre l’espèce pêchée, mais aussi la chaine alimentaire qui lui est reliée. C’est alors la destruction d’un écosystème qui est en jeu. La situation du crabe bleu invasif suite à une diminution forte de son seul prédateur, le poulpe, est un exemple remarquable de ce mécanisme de rupture de la chaine alimentaire.
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La biomasse en déclin
Qu’en est-il de la technique de la Charfyia à Kerkennah ?
Nous souhaitons ici rendre compte de la philosophie de la Charfyia, cette représentation du rapport au monde qui précède toute technique et en particulier cette technique de pêche, passive, principale pratique à Kerkennah et reconnue par l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Voici pourquoi.

Portion de mur rabatteur, constitué de palmes – Pêcherie fixe artisanale Charfiya
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Une technique héritée de la tradition ancestrale de l’archipel
La charfiya est une pêcherie fixe. Sa structure est composée d’une ligne principale de palmes plantées par les kerkenniens dans le fond marin. Au bout de cette ligne principale, deux autres lignes sont installées pour former une flèche, une sorte de champ triangulaire de palmes au bout duquel est installée une chambre de capture et en son cœur, une nasse flottante et ancrée.

Palmes entrant dans la confection des chrafi – Pêcherie fixe artisanale Charfiya
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Au rythme des marées descendantes
Le poisson suivant le courant, se retrouve en chemin devoir longer ces lignes de palmes plantées par les pêcheurs, jusqu’à la chambre de capture dans laquelle les courants de retrait de la mer l’entrainent naturellement au cœur de la nasse.

Chambre de capture d’une charfia – Pêcherie fixe artisanale Charfiya
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L’intelligence écologique d’un rapport au monde aquatique
La charfyia est une infrastructure en matières naturelles. Ingénierie durable et respectueuse de la vie aquatique et de son rythme, elle est conçue pour jouer passivement avec les conditions hydrographiques de la zone de pêche et de son relief marin.

Chambre de capture et nasse (Drina) marée basse – Pêcherie fixe artisanale Charfiya
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Les nasses pour des chambres de capture écologiques
L’usage de ces matériaux principalement naturels (Nasses et branches de palmiers) réduit l’impact négatif sur l’écosystème et contribue aussi au développement économique de l’archipel notamment pour la fabrication et l’entretien des nasses. Mais on pourra aussi remarquer l’esthétique de la charfiya, ligne d’eau sur les haut-fonds de l’archipel. Ces pêcheries fixes donnent à la zone côtière de Kerkennah un aspect unique.

Nasses utilisées à l’extrémité des chambres de capture – Pêcherie fixe artisanale Charfiya
La pêcherie fixe artisanale Charfiya est fondée sur une conception durable de l’exploitation des hauts-fonds marins. Nous avons essayé de vous présenter sa structure adaptée au rythme des marées, les matériaux naturels utilisés, les palmiers et les nasses à l’extrémité des chambres de capture qui font de la charfiya une pêche remarquablement durable.
La Charfyia : un atout marin pour l’humanité
Trois caractéristiques majeures nous paraissent devoir être soulignées.
- Premièrement, le respect du rythme des marées et des saisons de pêche qui permet au poisson de se reproduire et une fois adulte, d’être capturé dans les nasses, sans stress contrairement par exemple au chalut et à la senne qui sont ces filets gigantesques, compressant les bancs entiers de toute sorte d’espèces, étouffant nombre d’entre eux. Ainsi, la charfiya est opérationnelle de l’automne au mois de juin. Entre juillet et septembre, la faune marine se régénère tranquillement.
- Deuxièmement, les nasses sont les outils premiers du pêcheur à la charfyia. Si malheureusement certaines sont devenues plastiques, certains pêcheurs conservent les nasses en fibre naturelle, à partir de l’alfa (stipa tenacissima) cette herbe bien connut des sebkhas de kerkennah, essentielles pour les cordages, et la fibre de palmier, roi de l’archipel. Ces ressources locales permettent d’entretenir les terres en récupérant alfa séché et branches de palmiers.
- Troisièmement, cette tradition est aussi un moment social important, car d’une part, elle permet de transmettre la connaissance pointue de la topographie sous-marine et des courants marins. D’autre part, lors de l’installation et de l’entretien des pêcheries, convivialité et festivité réunissent les kerkenniens, conscients du bien commun que représente la charfyia, entre la terre et la mer.