Charfia à 360° : d’une technique durable à un art intemporel
Charfia, Vous avez dit Durabilité ?
Oui, la Charfia respecte le cycle des poissons, leur environnement et ceux qui en vivent. Elle ne génère pas le stress de la pêche au chalut qui comprime fortement les poissons pris dans les filets. Elle respecte le milieu marin. Faites de palmes, elle ne pollue pas. La qualité de la chaire du poisson de charfia est à l’image de l’harmonie de cette pêche naturelle qui joue avec les courants de la mer pour rabattre les poissons en chambre de capture.
Des impacts environnentaux positifs
Si l’on devait estimer l’impact environnemental de cette pêche, nous pourrions retenir deux facteurs au moins qui contribuent positivement au respect de la biodiversité et de l’environnement naturel :
- Sa construction faite dans les règles de l’art, est essentiellement à base de palmes issues de la taille des palmiers (naturels) de l’archipel. L’impact carbone est donc faible et l’entretien des palmeraies est régulier.
- Son exploitation repose sur le rabattement des poissons le long du mur de rabattement à partir des courants marins. Les poissons se dirigent donc naturellement dans des nasses faites elles aussi dans les règles de l’art, en arjoun. Le pêcheur et propriétaire de Charfia capture ainsi naturellement des poissons et crustacés au gré des courants. Les drinas sont ainsi disposées en fonction de ces courants marins, comme point d’arrivée du trajet des poissons le long des palmes plantées. Pas de moteurs si ce n’est celui de la flouka pour aller récupérer les drinas dans les chambres de capture. Là aussi l’impact carbone est faible. Le sol marin n’est pas détruit. Les palmes sont plantées dans le sable à la main. Faites de fibre naturelle, leur décomposition nourrit et ne pollue pas l’eau ni le sol.
Un bémol sur la durabilité
Le bémol qui mérite d’être relevé est l’invasion du plastique dans certaines charfia. On voit en effet des drinas et des filets de chambre de capture naturels remplacés par des composés plastiques supposés durer plus longtemps. Toutefois, leur décomposition invisible à notre échelle (quoique) est beaucoup plus nocive. Si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin, le remplacement des drinas en arjoun farbiquées localement par des artisans impacte aussi l’écosystème socio-économique de l’archipel.
L’artisanat qui fournit traditionnellement les équipements naturels de drinas et de filets de pêche, est remplacé par celui des firmes internationales. Celles-ci envahissent de leurs matériaux plastiques, de nombreux secteurs d’activités et avec eux, les mers et la terre, jusque dans nos assiettes et nos estomacs. La “charfia traditionnelle 100% bio” n’existe pratiquement plus mais son “ADN nature terre et mer” lutte et offre encore un regard sur lequel nous souhaitons nous arrêter….
Le mur de rabattement des poissons : secret technique durable et oeuvre d’art
Que voyez-vous quand vous regardez une charfia ? A marée haute, les crêtes de palmes émergent pour dessiner des formes géométriques en surface d’eau. Mais n’est-ce que cela ? Écoutez le vent, observez-le danser avec les palmes et les courants marins. L’harmonie du vivant est en cet instant une oeuvre de l’univers.
Charfia, “je te vois”
Finalement, si l’on accepte de regarder le monde à l’envers, ou à 360° que voit-on dans la charfia ? Cette technique de pêche est avant tout utilitariste puisqu’elle est conçue à l’origine pour nourrir l’Homme. Autour de cette utilité basique des besoins primaires de l’espèce humaine est né tout un écosystème :
- Exploitation des palmeraies pour tailler les palmes
- Artisans pour fabriquer les éléments
- Vendeur et négociants sur le marché aux poissons
- Restaurateurs inspirés par les fruits de la mer
- Guides touristiques passionnés de la biodiversité
Mais au delà de cette utilité bien comprise qui fait la société humaine, une harmonie perdure. Ce lien que l’art tente de préserver entre la nature humaine et la nature universelle. On le retrouvre dans la Charfia. Acceptons un instant de métamorphoser notre regard de cette technique de pêche.
Charfia : véritable “Earth & Sea Art” & “Earth and See – Hart”
L’air de rien, la Charfia passe d’une technique géométrique utilitariste à un symbole artistique impensé mais pourtant bien réel. Elle n’a pas été conçue pour être un objet d’art. Elle ne rentre pas dans la catégorie des arts naturels bien que composées de certains éléments issus de la nature. Sa forme ne revendique pas un biomorphisme qui se définit comme “la reproduction artistique des formes du vivant” souvent aux formes arrondies ou du moins non géométriques (Maldonado, 2019). Au contraire, elle n’est rien de tout cela et pourtant elle est née de la science empirique du vivant et de son potentiel de création.
Un art de la mer
Nos ancêtres pécheurs observaient le courant marin, et le mur de rabattement est né de ce chemin du vivant. Comme Newton a vu la pomme tomber au sol, le kerkennien marin a vu la mer conduire la route des poissons. La Charfia est un art de la mer.
Un art de la terre
Le kerkennien terrien a regardé les palmeraies naturelles de son île. Tel un Robinson, il a observé. Il s’est connecté à la nature du vivant. Il a vu…. La résistance du palmier au vent, aux pluies d’hiver, au changement de température. Il a vu le palmier puissant contre le soleil pour apporter l’ombre nécessaire à la vie de nombre d’espèces. L’homme en a fait des toits de maison, du legmi, des cabanes de pêcheurs, des drinas et des murs de rabattement.
Plantée en mer, la palme résiste. En nombre, elle devient un mur naturel, marquant le courant de la mer qui conduit la route des poissons. Le kerkennien terrien et marin montre ainsi le chemin de la vie pour se nourrir, mais aussi la puissance de la nature à créer la vie, à frayer les courants pour le monde sous-marin, à apporter la nécessaire harmonie du vivant.
Voir l’harmonie de l’univers dans la terre et dans la mer, tel est peut-être ce qui fait vibrer le cœur de celui qui est touché par Kerkennah.
La charfia nous conte tout cela. Elle est à la fois, une œuvre économique, une œuvre de la nature, belle dans les jeux de lumière des palmes en surface d’eau, belle dans leur mouvement aérien et sous-marin, et durable dans son respect du vivant, en harmonie. Pour reprendre le néologisme de Romand et alii (2023), la charfia semble bien jeter les bases d’une « éco-esth-éthique » universelle, mêlant utilité, durabilité et art de la mer et de la terre.
Sources inspirantes : |
https://infine-editions.fr/publications/biomorphisme-1920-1950/Maldonado G. (historienne de l’art, (2019) , Le cercle et l’amibe : le biomorphisme dans l’art des années 1930Romand D., Bernard J., Pic S., Arnaud J. (2023), Biomorphisme – Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant |
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